Chez Wolters Kluwer France, on ne jette pas que les salariés…

Chronique de la déléguée syndicale CGT (1)

Il m’a fallu un certain temps pour commencer à pouvoir formuler quelques phrases cohérentes au sujet de ce qui est arrivé cet été chez Wolters Kluwer France. C’est le genre d’événement qui vous tétanise par sa brutalité et sa stupidité. Vous n’osez pas croire que c’est une décision prise par des personnes chargées de conduire l’entreprise à laquelle vous vendez vos compétences contre rémunération. En fait, vous ne cessez d’appuyer sur la touche « replay » pour être certain que l’événement s’est bien inscrit dans la réalité. À l’évidence, la direction des éditions WKF a bien décidé de jeter tous les livres, toutes les collections qui composaient sa documentation. Située au rez-de-chaussée du siège de Wolters Kluwer France à Saint-Ouen, ses 150 mètres carrés sont désormais vides et inutilisés.

La documentation de Wolters Kluwer France était constituée de la réunion en 2005 du fonds du Groupe Liaisons — plus de quarante années de livres relatifs au social sous toutes ces facettes — et du fonds des éditions Lamy créées en 1895. La bibliothèque Lamy se parait de tout le charme des vieilles collections reliées qui nous impressionnent tant au début de nos études de droit et qui nous accompagnent au fur et à mesure que nous prenons nos galons de juristes. Le Recueil Dalloz, la Gazette du Palais, les bulletins de la Cour de cassation, les éditions reliées des revues juridiques, les encyclopédies des maisons d’édition concurrentes… Tout ce fonds précieux est parti à la benne par un doux matin de mai 2017.

Alertés par les services généraux, choqués de devoir « jeter des livres », nous avons juste eu le temps de trouver un libraire qui a pu sauver quelques collections, mais 85 % de la documentation a été jetée. Les délais étaient trop courts pour en sauver davantage. Cette décision n’a pas été prise n’importe comment. C’est une vraie décision, mûrie par la direction, qui a demandé à la dernière documentaliste en poste de procéder à un inventaire exhaustif du fonds documentaire… avant de jeter les livres. Nous avons dû accompagner cette collègue à une consultation de souffrance au travail d’un hôpital parisien. À l’heure où nous écrivons ces lignes, elle est toujours en arrêt maladie. On ne trouvera pas d’information-consultation sur la « disparition » du service documentation à l’ordre du jour du comité d’entreprise… En même temps, ce n’est pas comme si on fermait un service transversal utile à tous les rédacteurs-éditeurs de Wolters Kluwer France ! Un fonds documentaire utile pour vérifier, confronter nos écrits et ceux des auteurs que nous publions… En tant qu’éditeur, comment se protéger de la contrefaçon, si on ne peut plus vérifier les textes de nos auteurs par rapport aux textes des concurrents ?

On nous dira qu’à l’heure du numérique, tous ces vieux papiers n’ont plus aucune utilité ! Personnellement, l’auteur de ces lignes en doute fortement et la lecture des rapports des conseillers de la Cour de cassation nous indique au contraire que même les vieux ouvrages de droit peuvent fournir des références utiles. Cette décision ne s’est pas accompagnée d’une réorganisation discutée de la documentation au sein des services rédactionnels. C’est donc a minima, avec les quelques abonnements restants et sans pouvoir recourir aux recherches effectuées par des documentalistes, que les rédacteurs et les éditeurs doivent maintenant réaliser leurs travaux.

La raison de cette décision ? La recherche d’économies. Soyons clairs, on a tout économisé chez Wolters Kluwer France ! Cette course à l’économie est sans fin depuis l’endettement artificiel créé depuis 2007 par la direction de Wolters Kluwer, qui a choisi de « racheter » ce qu’elle possédait déjà en France en contractant un emprunt auprès de la maison mère, sise à Amsterdam. 110 millions d’euros d’intérêts ont ainsi été remboursés depuis 2007 ! L’emprunt court jusqu’en 2022…

C’est avec une grande tristesse que je me souviens de cette exhortation de Victor Hugo : « La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laisser-le faire. Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livres partout. » Chez Wolters Kluwer France, la direction les a mis à la poubelle !

Anne de Haro

Déléguée syndicale CGT WKF

(1) Dans une prochaine chronique, nous aborderons la question des effectifs à Wolters Kluwer France…

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Une réaction

  1. C’est la barbarie numérique : le data mining, aller fouiller dans ce qui devient des données, et n’en extraire que ce qui sert à l’instant T! Ce sont de pauvres types, au sens où Jorge Semprun qualifiait les SS, ce monde appartient aux pauvres types !

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