La fraude sociale de Wolters Kluwer France condamnée en appel

Après sept ans de bataille judiciaire menée par les syndicats CGT, CFDT, CNT et SNJ, les salariés de Wolters Kluwer France ont obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Versailles. Dans un arrêt sans précédent rendu le 2 février, les juges ont estimé que le montage financier réalisé en 2007 constituait une «manœuvre frauduleuse», tout en condamnant Wolters Kluwer France à reconstituer la réserve de participation des salariés pour les années 2007 à 2015.

En juillet 2007, le groupe de presse et d’édition néerlandais Wolters Kluwer (19 000 salariés dans 170 pays) décidait de fusionner 8 sociétés (Groupe Liaisons, Lamy, AFL, etc.) pour donner naissance à sa filiale française, Wolters Kluwer France (WKF).

Au passage, grâce à un LBO interne, la maison-mère endettait gravement sa nouvelle filiale, à hauteur de 445 millions d’euros. Cet emprunt colossal, qui continue de peser lourdement sur les comptes de la filiale française, a abouti à priver l’ensemble des salariés de WKF de toute participation jusqu’en 2022 (date de la fin du remboursement des intérêts d’emprunt), mais aussi à rendre la filiale française non passible de l’impôt sur les sociétés.

Les modalités de la fusion permettaient en outre de dégager 555 millions d’euros de dividendes exceptionnels, remontés à la maison-mère, aux Pays-Bas, où la fiscalité des dividendes venait d’être allégée au profit des actionnaires.

Les salariés de Wolters Kluwer France et quatre organisations syndicales ont décidé de ne pas se laisser faire, et ont saisi les tribunaux pour faire valoir leurs droits.

Les juges ont estimé que le mécanisme d’emprunt contracté par WKF était une «manœuvre frauduleuse» et désigné un expert qui devra calculer, d’ici à décembre 2016, le montant de la participation due aux salariés entre 2007 et 2015.

Au-delà des salariés de WKF, cette décision de justice inédite fait date dans un contexte où les stratégies d’évitement fiscal des multinationales heurtent de plus en plus les travailleurs, qui se retrouvent à payer l’impôt à leur place alors qu’ils subissent déjà les politiques d’austérité.

La CGT-WKF


Revue de presse

LeParisien 

Éditions Wolters Kluwer : l’optimisation fiscale était trop belle

Catherine Gasté | 03 Févr. 2016

La justice française a jugé frauduleux un montage financier de l’éditeur néerlandais Wolters Kluwer au sein de sa branche hexagonale (Éditions Lamy, groupe Liaisons sociales). L’un des effets du tour de passe-passe juridico-financier a été de priver les salariés de participation.

Les orfèvres en montages fiscaux en tous genres n’ont qu’à bien se tenir ! Voici une décision qui fera date. La cour d’appel de Versailles vient de donner raison aux 650 salariés de la branche hexagonale de l’éditeur néerlandais Wolters Kluwer (Editions Lamy, groupe Liaisons sociales) privés de participation depuis 2007, après un tour de passe-passe juridico-financier plombant les comptes de la filiale française.

Une opération d’optimisation fiscale dont la conséquence a été « d’obérer la rentabilité de la société » artificiellement, a considéré le tribunal, jugeant ce « montage frauduleux ». Selon cette décision en date du 2 février (dont nous avons obtenu une copie), la société WKF est condamnée à recalculer et à verser le montant de la participation sur huit ans… Mardi, les salariés ne cachaient pas leur joie.

Quel est donc ce montage ? Au cours de l’été 2007, les filiales françaises du groupe néerlandais ont fusionné entre elles, puis ont été rachetées par une autre filiale française, détenue elle aussi par le groupe de presse. Pour réaliser cette opération, le siège néerlandais a prêté 450 M€, en sus d’un apport en capital de 300 M€. « Nous nous sommes rachetés nous-mêmes pour le prix astronomique de 753 M€ », rappellent les organisations syndicales. Or, plus de la moitié de cette somme a été empruntée à la maison mère à des taux supérieurs au marché, un prêt s’achevant en 2022.

Les comptes plombés évitent à la société d’être imposée en France

Ce montage financier a conduit à un endettement jugé illégalement artificiel par la cour d’appel, dont le premier effet a été de plomber les comptes avec un résultat d’exploitation net réduit à zéro et d’échapper au passage à l’impôt en France. Il a aussi eu pour effet de réduire à néant la participation distribuée aux salariés alors que, jusqu’en 2007, « 5 M€ par an, en moyenne, leur étaient distribués », selon une représentante syndicale. « Je touchais l’équivalent de deux ou trois mois de salaires en plus », témoigne une salariée.

Cette affaire emblématique illustre les dérives fiscales très en vogue des multinationales. Un cas d’espèce, selon Sylvain Roumier, l’un des avocats des syndicats, pour qui « la liberté de jongler avec les fonds des salariés, via des montages financiers, a des limites ». « C’est ce que cet arrêt sanctionne très clairement », conclut-il satisfait, persuadé que cela va faire jurisprudence sur d’autres affaires en cours.

Une expertise-comptable doit désormais « déterminer le montant de la réserve spéciale de participation qu’auraient pu percevoir les salariés ». « Cela devrait se chiffrer entre 6 à 10 M€ dus aux 650 salariés de l’entreprise, y compris les 600 autres qui sont partis entre-temps dans le cadre des restructurations, soit 600 personnes », se félicite Anne de Haro, déléguée syndicale de l’Ugict, une des membres de l’intersyndicale qui a porté l’affaire devant les tribunaux. Et cette juriste d’ajouter, un brin ironique : « Nous assurons notamment la diffusion des ouvrages de droit du travail ! On est particulièrement bien placés pour avoir connaissance des dispositions légales à respecter. » Une « bonne nouvelle » pour tous les salariés, alors que le groupe néerlandais d’édition professionnelle Wolters Kluwer vient d’annoncer son souhait de se séparer de son pôle presse en France. Sollicitée hier, la direction de Wolters Kluwer France n’a pas répondu à notre demande.


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Les salariés du groupe de presse WKF font condamner le montage «frauduleux» de leur direction

Par Luc Peillon 3 février 2016

C’est un combat de longue haleine que viennent de remporter les salariés de l’entreprise de presse Wolters Kluwer France (WKF), qui regroupe, entre autres, les éditions Lamy et Liaisons sociales. Dans un arrêt rendu mardi – et après plusieurs années de procédures – la cour d’appel de Versailles vient de condamner sévèrement les agissements de leur direction. En cause: une complexe restructuration interne menée en 2007 – et considérée comme «frauduleuse» par les juges – par laquelle les dirigeants avaient réussi à priver les salariés des sommes liées à la participation aux bénéfices. Et ce, jusqu’en 2022… Si le montant en jeu n’a pas encore été arrêté, le groupe de presse spécialisée pourrait se retrouver à devoir rembourser plusieurs millions d’euros.

Le montage litigieux, révélé à l’époque par Libération, avait consisté à endetter lourdement, et pendant quinze ans, la structure française par rapport à sa maison mère aux Pays-Bas, afin de plomber, du jour au lendemain, les comptes de l’entité hexagonale. «En réalité, on s’est racheté à nous-mêmes ce que l’on avait déjà, expliquait, à l’époque, une ex-représentante des salariés. Sauf que désormais, on se retrouve avec une dette à rembourser, alors que l’on était bénéficiaire.»

La participation étant indexée sur les résultats de l’entreprise, les salariés ont été soudainement privés d’une partie de leurs revenus – jusqu’à plusieurs milliers d’euros par an pour nombre d’entre eux. «Le montant versé a d’abord fondu sur 2007 avant de disparaître totalement l’année d’après», expliquait une salariée des éditions Lamy, qui a perdu près de deux mois de revenus (6 000 euros). Parallèlement, la maison mère faisait remonter plusieurs centaines de millions d’euros de dividendes aux Pays-Bas, pays à la fiscalité plus douce.

Pour la CGT, engagée avec d’autres syndicats dans ce combat, c’est une grande victoire. Mais «au-delà des salariés de WKF, cette décision de justice, inédite, fait date dans un contexte où les stratégies d’évitement fiscal des multinationales heurtent de plus en plus les citoyens», se réjouit la centrale dans un communiqué.


 LesEchos

Les syndicats trouvent une parade à l’optimisation fiscale

WKF a été condamné pour avoir réduit la participation de ses salariés à la suite d’une optimisation fiscale. Cette décision pourrait faire jurisprudence.

Les syndicats sont toujours prompts à dénoncer les pratiques d’optimisation fiscale des groupes internationalisés. Ils viennent de trouver une faille pour les attaquer en justice. WKF, la filiale française du groupe hollandais Wolters Kluwer, leur a ouvert la voie. Ce n’est pas dans ses publications de droit social réputées qu’il faut aller chercher la nouveauté, mais à la cour d’appel de Versailles. Ses syndicats ont en effet saisi la justice après avoir découvert une opération d’optimisation fiscale. Ils viennent d’obtenir gain de cause en appel. Le tribunal a jugé que leur employeur avait commis une « manoeuvre frauduleuse » qui avait réduit le montant des bénéfices ayant servi de base au calcul de leur participation. « L’opération n’a apporté aucun bénéfice économique [à la société et à ses salariés], aggravant au contraire les difficultés », est-il indiqué dans le jugement.

Il condamne WKF et sa société mère HWKF « à reconstituer et abonder dans la société WKF la réserve spéciale de participation pour les exercices 2007 à 2010 », à redistribuer aux salariés et à rectifier le tir aussi pour les années 2011 à 2015.

Le montage pour « siphonner » la participation remonte à 2007. Les filiales françaises du groupe néerlandais (Lamy et Groupe Liaisons) ont été fusionnées puis transmises à la société Wolters Kluwer France. Pour les acheter, WKF s’est endetté à hauteur de 445 millions d’euros auprès de sa maison mère. Ce « LBO incestueux », comme le qualifie Anne de Haro, déléguée syndicale CGT, s’est fait à des taux anormalement élevés (7,3 %), a conclu l’expert judiciaire désigné par le tribunal de commerce à la demande du comité d’entreprise, une procédure peu utilisée. « L’opération dans son ensemble […] c onstitue une remontée de trésorerie significative dans le cadre d’une fiscalité avantageuse », a-t-il estimé. Il faut savoir qu’en 2007, les Pays-Bas ont baissé le taux de l’impôt sur les sociétés à 15 %. Du côté de WKF, on « prend acte » de la décision de la cour d’appel de Versailles. L’entreprise dispose de deux mois pour se pourvoir en cassation.

Une jurisprudence à construire

Cette affaire n’est de toute façon que la première d’une liste qui devrait s’allonger. « On rencontre assez régulièrement de telles pratiques d’optimisation fiscale, surtout dans les grands groupes », note Christian Doyon, directeur général de Secafi, groupe d’expertise auprès des comités d’entreprise. « Nous avons d’autres procédures en cours ou que nous allons lancer car ces pratiques se renforcent, notamment dans le numérique – Google, Uber, Amazon… », affirme Sophie Binet, secrétaire générale adjointe des cadres CGT.

« La participation fonde la légitimité des comités d’entreprise à agir. Aujourd’hui, la vigilance des syndicats ne porte plus uniquement sur le respect du droit du travail mais aussi sur l’ordre public financier », souligne la députée européenne Eva Joly. L’ancienne juge, aujourd’hui avocate, défend une plainte du CE de McDonald’s contre la multinationale pour blanchiment de fraude fiscale en bande organisée concernant une autre stratégie d’optimisation : les redevances payées par les franchisés à une société mère au Luxembourg qui réduisent le bénéfice fiscal en France, et par conséquent la participation des salariés.

La jurisprudence sur le sujet reste à construire. L’arrêt de la cour d’appel de Versailles suscite en effet des interrogations. Le tribunal a-t-il voulu sanctionner le dispositif d’optimisation lui-même ou un défaut d’information du CE ? Si c’est l’optimisation elle-même, cet arrêt pourrait avoir de lourdes conséquences en ouvrant la voie à de nombreuses plaintes de syndicats. Mais ce n’est pas certain du tout, avertit un avocat fiscaliste. Pour lui, « ce n’est pas une décision de nature fiscale. La société a été condamnée parce qu’elle n’a pas appliqué les règles du droit du travail ».


mediapart

Optimisation fiscale et arnaque salariale: un éditeur condamné par la justice

Mediapart | 9 février 2016 | Par Dan Israel

Wolters Kluwer, éditeur spécialisé notamment dans le droit social, a privé ses salariés de toute participation financière à ses résultats suite à une opération d’optimisation fiscale. Jugement sévère de la cour d’appel de Versailles.

C’est une multinationale comme les autres, avec ses méthodes d’optimisation fiscale comme les autres. Mais elle vient de tomber sur un sérieux os. Le 2 février, la branche française de l’éditeur néerlandais Wolters Kluwer, largement spécialisé dans le droit et les relations sociales, a été condamnée par la cour d’appel de Versailles à verser plusieurs millions d’euros à ses 650 salariés, ainsi qu’aux 600 employés dont il s’est séparé depuis 2007. Le propriétaire des célèbres éditions Lamy et du groupe de presse Liaisons sociales a injustement privé ses employés de toute participation à ses résultats financiers grâce à un tour de passe-passe juridico-financier visant à « obérer la rentabilité de la société » artificiellement, a jugé le tribunal.

Plus de sept ans après avoir lancé leur combat judiciaire, quatre syndicats (CGT, CFDT, Confédération nationale du travail et Syndicat national des journalistes) ont obtenu gain de cause : la restructuration qui a siphonné les bénéfices de leur entreprise a été déclarée « inopposable » aux salariés. La cour d’appel juge que Wolters Kluwer a « sciemment dissimulé » les conséquences négatives de l’opération, « par des manœuvres frauduleuses », tenant à la fois à l’absence de communication des informations et des documents comptables au comité d’entreprise, et à « un discours trompeur ».

Le litige remonte à 2007, année où la branche hexagonale de ce groupe présent dans 170 pays décide de fusionner neuf sociétés françaises qu’elle possède déjà. Mais la forme choisie est étrange : les entreprises fusionnent, puis sont vendues à une holding appartenant au groupe. « Nous nous sommes rachetés à nous-mêmes, pour 753 millions d’euros ! Et plus de la moitié de cette somme a été empruntée à la maison mère, à des taux largement supérieurs à ceux du marché, et ce jusqu’à 2022 », explique Anne de Haro, déléguée syndicale CGT, membre de l’intersyndicale qui a mené la bataille en justice. Wolters Kluwer France (WKF) a en effet emprunté 445 millions d’euros sur quinze ans, auprès de sa maison mère, à des taux dépassant 7 % en 2007 et 2008.

L’opération « Cosmos » et l’endettement qu’elle déclenche plombent immédiatement les comptes de l’entreprise. Et les conséquences sont sévères. « Avant cette fusion, l’ensemble des sociétés du groupe payaient 16 millions d’euros d’impôt sur les sociétés par an, et versait en plus 5 millions de participation aux résultats à ses salariés, rappelle Anne de Haro. Après l’opération de rachat, compte tenu de la dette énorme que WKF porte, c’était terminé. »

Plus d’impôt, plus de participation. C’est sur ce point qu’ont décidé d’attaquer les syndicats. Jusqu’en 2007, la plupart des salariés touchaient plusieurs milliers d’euros par an au titre de la participation, des sommes pouvant approcher trois mois de salaires. En 2007, ils ont encore touché quelques centaines d’euros, puis plus rien à partir de 2008. Parallèlement, l’opération « Cosmos » a permis de dégager 555 millions d’euros de dividendes, versés aux actionnaires du groupe aux Pays-Bas, où le régime fiscal venait justement de devenir bien plus avantageux. Les dividendes y sont taxés à 15 %, contre 33,33 % dans l’Hexagone.

Le tribunal a ordonné une expertise comptable, qui doit « déterminer le montant de la réserve spéciale de participation qu’auraient pu percevoir les salariés », et que devra finalement verser WKF. Les syndicats attendent plusieurs millions d’euros, à répartir entre 1 250 personnes. Contactée par Mediapart, la direction de Wolters Kluwer France a indiqué qu’elle étudiait toujours la décision judiciaire, avant de décider si elle déposait un recours. Pas sûr qu’elle prenne le risque de le faire, d’autant que WKF vient d’annoncer être en discussion pour vendre tout son pôle presse.

Le SNJ a salué une « victoire du pot de terre contre le pot de fer ». « Au-delà des salariés de WKF, cette décision de justice, inédite, fait date dans un contexte où les stratégies d’évitement fiscal des multinationales heurtent de plus en plus les citoyens », se réjouit de son côté la CGT. Il est vrai que leur combat a été long et ardu. Les représentants du personnel avaient assigné WKF dès 2007 devant le tribunal de commerce pour obtenir une expertise, afin de comprendre pourquoi leur participation disparaissait. Le comité d’entreprise a ensuite déposé plainte en 2010 pour entrave à son fonctionnement régulier, estimant qu’on lui avait caché le principe du prêt. En janvier 2014, le procureur de la République convenait que c’était bien le cas, mais se contentait d’un simple rappel à la loi envers l’entreprise.

Les syndicats ont finalement lancé la procédure qui vient d’aboutir. « Nous avons attaqué sur la question de la participation, parce que c’était le seul droit que nous pouvions actionner pour contester la nouvelle organisation du groupe », indique Anne de Haro. Dans un premier temps, la justice leur est défavorable : le 22 janvier 2015, le tribunal de grande instance de Nanterre les déboute, au motif qu’ils ne peuvent pas contester le montant du bénéfice de l’entreprise, tel qu’il a été calculé par le commissaire aux comptes. Il faudra donc attendre la cour d’appel pour qu’ils obtiennent satisfaction.

Et le jugement est sévère : « Le choix des modalités de l’opération Cosmos (…) était préjudiciable pour la société WKF et ses salariés, car il n’a apporté aucun bénéfice économique à ces derniers, aggravant au contraire les difficultés économiques de la société », tranche le tribunal. Selon ses calculs, si une autre solution avait été choisie pour la fusion des entreprises, les salariés auraient pu se partager entre 3 et 6 millions d’euros de 2007 à 2010, au lieu de 329 000 euros.

Fait aggravant, écrit la cour, cette conséquence de la restructuration « a été sciemment dissimulée au comité d’entreprise » : « Cet emprunt a été dissimulé au CE car souscrit en juillet 2007 après les opérations de restructuration, au cours d’une période où la société WKF n’avait plus de CE, le nouveau CE étant constitué en septembre 2007 ; la cour ajoute que cette dissimulation s’est poursuivie par la suite », jusqu’en juillet 2008. Plusieurs dirigeants avaient en effet assuré au CE que l’opération « n’aurait aucune conséquence sociale ni en particulier sur les salaires ». Un discours « rassurant mais trompeur », estime le jugement.

La cour n’a pas manqué de relever que « ces omissions délibérées sont aggravées par la circonstance que la société WKF assure notamment l’édition et la diffusion d’ouvrages de droit du travail, de sorte qu’elle était particulièrement bien placée pour avoir connaissance des dispositions légales à respecter ».

Mais le groupe mondial est aussi très bien placé pour connaître l’art d’éviter de payer ses impôts, partout dans le monde. CT Corporation, une de ses filiales depuis 1995, est en effet célèbre pour posséder un bâtiment dans le paradis fiscal qu’est l’État américain du Delaware, au 1209 Orange Street à Wilmington, plus grande ville de l’État. Ce bâtiment est mondialement connu pour faire office de boîte aux lettres pour de nombreuses sociétés, toutes désireuses de bénéficier des impôts bas et de la curiosité très peu développée du Delaware sur les propriétaires réels des entreprises créées sur son sol (lire notre reportage dans cet État si particulier, avec visite guidée du 1209 Orange Street). Au dernier décompte, Wolters Kluwer hébergeait ainsi à Wilmington le siège fictif de près de… 290 000 entreprises.


L’Humanité Dimanche | 11 février 2016 | Mélanie Mermoz

Huma Dimanche Fraude WKF

laurent-mucchielli.org | 27 février 2016 | Christophe Daadouch

Quand la presse sociale ne fait pas dans… le social

Ce serait presque drôle si ce n’était … aussi déprimant. Et surtout aussi symptomatique d’un capitalisme sans vergogne qui investit le social comme il pourrait investir d’autres domaines, sans en mesurer les principes et valeurs.

Sous le nom de Wolkers Kluwer se cache un grand groupe néerlandais propriétaire de nombre de publications qui font référence dans le social et le droit du travail. Les ASH vous voyez ? publication hebdomadaire que tout travailleur social attend chaque jeudi et qu’il lit curieusement, tel un manga, en commençant par la fin. Ah les fameuses petites annonces qui n’ont d’égales que celles du Chasseur français. Le romantisme en moins. Et parfois la provocation en plus : car ouvrir ostensiblement ces pages devant son chef de service ou son directeur c’est déjà lui dire son désamour.

Et puis Wolkers c’est le fameux Memo Social que tout directeur d’établissement social et médico-social tient visible dans sa bibliothèque et lui permet d’afficher, ce faisant, son souci du respect du droit du travail.

Que dire encore de Liaisons sociales, du Lamy social du même groupe ou du site Wolkers RH ou Wolkers CE et de leurs rubriques sur le dialogue social et la participation.

C’est d’ailleurs de cela dont il nous faut désormais parler. Après une procédure de plusieurs années (voir déjà l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 19 mars 2014) ladite entreprise vient une nouvelle fois d’être condamnée en raison d’une curieuse conception de ce dialogue social et de la participation. La cour d’appel de Versailles a, le 2 février dernier (voir ici), pointé des « manoeuvres frauduleuses » de ce groupe, un « abus de droit », un « discours trompeur » visant à présenter la restructuration de cette entreprise sous ses meilleurs auspices sans permettre aux salariés d’en mesurer les impacts négatifs, en particulier sur leur intéressement.

Le montage financier mis en œuvre pour fusionner différentes sociétés de ce groupe avait réduit la participation des salariés à néant en présentant un endettement illégalement artificiel. De son côté le comité d’entreprise n’avait pu bénéficier d’aucune information nécessaire et les principales conséquences de ces fusions ont été « sciemment dissimulées ». Bon certes, les salariés auraient dû s’en douter : quand une entreprise nomme son opération de restructuration « Cosmos » seuls les spécialistes de la voûte céleste peuvent en principe y comprendre quelque chose. Ou quelques syndicats pugnaces qui, depuis des années, ont entrepris de longues procédures.

Ils viennent d’obtenir que ladite société reconstitue une réserve spéciale de participation depuis 2007 destinée à leurs 650 salariés et verse à chaque syndicat 10000 euros de dommages et intérêts. Quel dommage toutefois que la Cour n’ait pas prévu la publication de son jugement dans Liaisons sociales

Ce jugement pourrait être une fin heureuse si, mauvais joueur, le groupe n’avait pas annoncé récemment sa volonté de se séparer de son pôle presse en France.


Huma

Non ! Le droit du travail n’est pas mort

L’Humanité | 22 février 2016 |La chronique juridique de Slim Ben Achour, avocat

Au moment où elles entendent « relancer l’emploi en remodelant les relations sociales », les plus hautes autorités devraient méditer les enseignements d’une décision de la cour d’appel de Versailles, rendue le 2 février dernier. Le groupe Wolters Kluwer France, éditeur spécialisé notamment dans le droit social et dont le siège est à Amsterdam, a décidé en 2007 de mettre en place une restructuration visant à réaliser une « optimisation fiscale » de grande envergure. Il s’agissait pour la holding française de racheter toutes les filiales du groupe situées en France, grâce à un emprunt de 455 millions d’euros contracté auprès de la société mère néerlandaise à des conditions financières très défavorables. Résultat ? La société mère percevait 555 millions d’euros de dividende en 2007 et 2008, sur lesquels elle acquittait 15 % d’impôt aux Pays-Bas (alors que l’impôt sur les sociétés en France est de… 33,33 %). Les 650 salariés de la holding française connaissaient une chute de leur ­rémunération, puisque la restructuration avait pour conséquence d’éliminer les deux voire trois mois de rémunération liée à la participation annuelle.

Ce montage financier léonin pour les salariés avait été rendu possible par des entraves au droit d’information des représentants du personnel. C’est dans ce contexte que la détermination et l’intelligence des syndicats et de leurs avocats ont obtenu un rééquilibrage des choses dans le match « travail contre capital » et donné des idées pour les prochains matchs à disputer. Le juge, indépendant et impartial, n’a eu aucune difficulté à relever que la disparition d’une partie importante de la rémunération des salariés était causée par une « manœuvre frauduleuse », ce d’autant plus que les sociétés n’avaient pas hésité à tenir un « discours trompeur » aux représentants des salariés en énonçant que la restructuration n’aurait aucune conséquence néfaste sur les droits des salariés. Le montage financier est donc jugé inopposable aux salariés et de nouveaux rendez-vous judiciaires sont prévus pour déterminer les sommes à allouer aux salariés au titre de la participation.

Morale de l’histoire : le gouvernement, qui n’aime pas beaucoup le droit et s’efforce de contourner au maximum le juge, ferait bien de s’inspirer de cette décision pour imposer aux mastodontes de l’économie mondiale de ­respecter, d’une part, les personnes qui ­travaillent pour elles et, d’autre part, les communautés nationales, en prélevant l’impôt dû quand bien même les entreprises en question sont des spécialistes… du droit du travail.

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