Loi Macron : en avant vers la régression

bon-macron

Quand on découvre la loi Macron, il est permis d’inventer le mot « régressisme » (1). Jamais sans doute, un gouvernement issu de la gauche n’a osé proposer une loi aussi rétrograde, libérale, en tout point destructrice des droits des salariés. C’est un projet qui porte sur le droit du travail, fait par un ministre de l’économie libérale. Ce projet dans son titre III, étonnamment intitulé « TRAVAILLER », en donne toute la mesure.

On ne fera pas l’injure de penser qu’une loi dite « Pour la croissance et l’activité » montre du doigt les « fainéants » de chômeurs ou l’indolence des travailleurs dans un pays où leur productivité est une des plus fortes du monde. La loi Macron affirme qu’il faut « déréguler pour libérer les énergies et créer de l’emploi ». C’est à l’inverse, moins il y a de réglementation et plus il y a de chômage. Cela fait dix ans qu’ils dérégulent, et depuis dix ans le chômage s’accroît. L’ANI du 11 janvier 2013 et la loi du 14 juin 2013 devaient, en assouplissant les licenciements, « sécuriser l’emploi » : on a 250 000 chômeurs de plus. Et la loi Macron propose d’assouplir encore plus les licenciements, ce qui fera encore plus de chômeurs.

En 1992, le travail de nuit a été autorisé pour les femmes, en arguant que c’était pour l’égalité professionnelle hommes-femmes et pour l’emploi. Vingt ans après, en 2012, 7,4 % des salariés travaillent de nuit, contre 3,5 % en 1991, soit un total de 3,5 millions de personnes. Un million de femmes ont été frappées de plein fouet par cette nuisance. Elles sont aujourd’hui plus de 9 % à être des travailleuses de nuit : deux fois plus qu’il y a 20 ans ! Et il y a un million et demi de chômeurs de plus ! Et Macron nous propose, dans sa nouvelle loi libérale, de travailler « en soirée » (sic)…

C’est grotesque de chercher à vendre du parfum à minuit ou le dimanche à des touristes chinois présumés, alors qu’ils restent en moyenne 7 jours à Paris et que leurs « tours operators » ont planifié d’avance une demi-journée d’achats en plein jour de semaine ! Alors pourquoi faire venir des femmes pauvres et précaires, qui n’ont pas le choix, vendre des parfums « en soirée » ou le dimanche ? Ça ne marchera pas, et elles seront obligées de rentrer chez elles en banlieue à 2 heures du matin, ou de ne pas voir leurs enfants le dimanche.

La déréglementation à la Macron frappe tout, l’inspection du travail, la médecine du travail, la justice du travail, le droit pénal du travail, les institutions représentatives du personnel, et même le bulletin de paie qui deviendra opaque. Elle s’en prend aussi à toutes les professions de droit, avocats, avoués, notaires, huissiers, greffiers, afin de les soumettre aux « firmes » juridiques anglo-saxonnes qui s’empareront ainsi du traitement de nos successions et des ventes. Alors qu’il aurait fallu transformer ces officines en service public et contrôler leurs actes et leurs coûts, elles vont, au contraire, être éclatées et davantage soumises aux puissantes et rapaces multinationales juridiques.

Tout comme les taxis : Macron pousse la G7 à se saborder pour le compte de la multinationale Uber low cost qui fait main basse sur les « VTC » (voiture tourisme avec chauffeur) et l’on trouvera bientôt des chauffeurs philippins aux horaires mortels, et aux prix négociés au cas par cas sans compteur. C’est aussi le principe d’Air France et de Transavia… ça consiste à réserver la sécurité et le confort des services aux riches et créer des alias de seconde zone et second prix pour les pauvres ! Macron ré-invente la « troisième classe » des trains à la SNCF : ce seront les autocars pour les jeunes pauvres qui ne peuvent plus se payer le TGV.

La flexibilité crée du chômage : ce sont les salariés, bien formés, bien protégés, bien payés qui produisent le plus et le mieux, pas les flexibles ! Si on veut créer de l’emploi, il faut faire reculer la flexibilité ! Or la loi Macron fait tout le contraire, et ouvre des champs nouveaux aux revendications les plus intégristes du Medef. Ce projet de loi n’est même pas « social-libéral », il est libéral tout court !

Mais au motif qu’il s’agit d’un texte compliqué, peu médiatique, la grande presse va masquer son contenu aux salariés et syndiqués. Comme pour l’ANI de 2013, ils vont privilégier la propagande générale, reprendre la chanson de la modernisation du gouvernement, en délaissant l’analyse précise, dans le détail des mesures avancées par ce texte.

À nous de faire percer la vérité, dans les détails et sur le fond.

Subordination ou soumission ?

C’est le plus incroyable : le projet de loi modifie l’article 2064 du Code civil et abroge l’article 24 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. La modification de l’article 2064 du Code civil est une tentative de supprimer le droit du travail !

En effet, l’article 1529 du Code de procédure civile explique que, pour la résolution amiable des différends, les dispositions du code de procédure civile s’appliquent « sous les réserves prévues par les articles 2064 du code civil (qui exclut jusqu’ici le droit du travail des conventions amiables) et de l’article 24 de la loi du 8 février 1995 » (qui limite jusqu’ici la médiation conventionnelle dans les différents qui s’élèvent à l’occasion d’un contrat de travail aux seuls cas des transfrontaliers). Et le projet de loi Macron supprime la restriction de l’article 2064 et abroge la limitation de la loi de 1995… Veut-il nous ramener à la loi Le Chapelier et au Code civil de 1804 ?

Il supprime le deuxième alinéa de l’article 2064 du Code civil : « Toutefois, aucune convention ne peut être conclue à l’effet de résoudre les différends qui s’élèvent à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du Code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. » Or cet alinéa exclut la convention entre les parties pour le règlement des litiges en droit du travail. Pourquoi ? Parce que le droit du travail est construit sur la reconnaissance de l’inégalité intrinsèque entre le patron et son subordonné, le salarié. Inégalité que la juridiction prud’homale a pour objet de limiter.

Désormais reste de l’article 2064 : « Toute personne, assistée de son avocat, peut conclure une convention de procédure participative sur les droits dont elle a la libre disposition, sous réserve des dispositions de l’article 2067. » La convention de procédure participative est une convention « par laquelle les parties à un différend qui n’a pas encore donné lieu à la saisine d’un juge ou d’un arbitre s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend. »Cette convention est conclue pour une durée déterminée et son contenu est fixé par l’article 2063 : « La convention de procédure participative est, à peine de nullité, contenue dans un écrit qui précise : 1. Son terme ; 2. L’objet du différend ; 3. Les pièces et informations nécessaires à la résolution du différend et les modalités de leur échange. »

Convention engagée, prud’hommes interdits. Selon l’article 2065 : « Tant qu’elle est en cours, la convention de procédure participative rend irrecevable tout recours au juge pour qu’il statue sur le litige. Toutefois, l’inexécution de la convention par l’une des parties autorise une autre partie à saisir le juge pour qu’il statue sur le litige. »

S’il y a accord sur la convention, les parties peuvent (article 2066) soumettre, s’ils le veulent l’accord à l’homologation d’un juge (lequel ?). S’il n’y a pas accord, les parties peuvent soumettre le litige à un juge, mais l’article 2066 supprime la phase de conciliation…

Là on est en pleine interrogation : les équipes autour de Macron sont forgées dans la culture Medef, pas dans celle de la gauche elles ouvrent au Medef la voie radieuse qu’il recherche depuis des années afin de supprimer le concept de « subordination » qui caractérise le contrat de travail. Car si le contrat de travail est un « lien de subordination juridique permanent », il donne en contre-partie des droits, contenus dans le Code du travail. Pour supprimer ces droits, il faut supprimer les concepts qui les justifient.

Laurence Parisot avait organisé, dans les locaux du Medef à Wagram, un colloque de trois jours sur « la soumission librement consentie », qu’elle traduisait dans la presse par « la liberté de penser s’arrête là où commence le code du travail ». S’agit-il de tout envoyer au civil, comme aux états-Unis où le code fait 36 000 pages de ce fait ? Où il n’y a donc pas de protection particulière au contrat de travail. Le contrat sera comme entre bailleur et locataire, ou entre voisins égaux, pas entre un employeur et un subordonné, et les droits que donne le Code du travail en contrepartie de la subordination seront non-invocables. Est-ce cela qu’il faut débusquer en douce dans l’ordonnance ?

Soumis librement de votre plein gré, vous n’êtes plus en situation de réclamer des droits. Le contrat de travail qui est spécifique parce que les deux parties signataires sont réputées ne pas être égales serait requalifié en un contrat civil où elles le deviendraient. Il n’y aurait donc plus matière à invoquer un droit spécifique de protection des « contrats ».

Travail dominical et « en soirée » : bosser le dimanche pour pas un rond de plus !

Art.75 : Autorisation du Préfet pour « préjudice au public » ou au « fonctionnement normal de l’établissement». L’ancien article L.3132-21 du Code du travail (« Les autorisations prévues à l’article L. 3132-20 ne peuvent être accordées que pour une durée limitée. »), abrogé par la loi n° 2009-974 du 10 août 2009, devient : « Les autorisations prévues à l’article L. 3132-20 sont accordées pour une durée qui ne peut excéder trois ans. »

Art. 76 : Décisions des Ministres pour le travail du dimanche. L’article L. 3132-24 du Code du travail (« Les recours présentés contre les décisions prévues aux articles L. 3132-20 et L. 3132-23 ont un effet suspensif. »), abrogé par décision du Conseil constitutionnel du 4 avril 2014, est réécrit avec une tout autre signification : ouverture le dimanche dans les « zones touristiques internationales » qui seront décidées par « les ministres du Travail, du Tourisme et du Commerce ».

Art.77 : Par la suppression des deux premiers alinéas de l’article L.3132-25 (Code du travail) et son remplacement, on obtient : Suppression de la procédure de détermination des « communes d’intérêt touristique » et des zones « touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente » par le préfet, « après proposition de l’autorité administrative (maire ou préfet de Paris), après avis du comité départemental du tourisme, des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés, ainsi que des communautés de communes, des communautés d’agglomération, des métropoles et des communautés urbaines, lorsqu’elles existent ».

Alignement sur les zones « internationales » des conditions de l’autorisation de travailler le dimanche dans des zones désormais simplement nommées « touristiques  ».

Ce qui, en clair, permet d’avoir le travail du dimanche à tous les coups : soit par un « accord collectif ou territorial », soit par « décision unilatérale de l’employeur », certes prise après référendum, mais on sait d’expérience quelle sera la marge de résistance possible des salariés dans un référendum organisé par l’employeur.

À noter la nouvelle notion d’« accord territorial » qui est sans doute la plus défavorable pour les organisations syndicales du point de vue du rapport des forces (il s’agit des organisations syndicales « les plus représentatives dans la région concernée », comment seront-elles décidées ?)

Art. 78 : par la modification de l’article L.3132-25-1 (Code du travail), les dérogations accordées par le préfet dans les « unités urbaines de plus de 1 000 000 habitants » pour les « établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services dans un périmètre d’usage de consommation exceptionnel caractérisé par des habitudes de consommation dominicale, l’importance de la clientèle concernée et l’éloignement de celle-ci de ce périmètre » deviennent des dérogations pour « les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services situés dans des zones commerciales, caractérisées par un potentiel commercial » et cette dérogation se fera par « accord collectif ou territorial » ou « décision unilatérale de l’employeur ».

Art. 79 : Modification de l’article L.3132-25-2 (Code du travail), par laquelle la création (délimitation, modification) des zones « touristiques » (L.3132-25) et des zones « commerciales » (L.3132-25-1) est faite sur demande du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale, et décidée par le préfet après plusieurs avis.

Art. 80 : Les contreparties pour les salariés fixées par l’actuel article L.3132-25-3 (repos compensateur, salaire doublé) sont modifiées. Pour les autorisations d’ouverture le dimanche pour « préjudice au public » ou au « fonctionnement normal de l’établissement », pour les « zones internationales », les « zones touristiques » et les « zones commerciales », il faudra soit un « accord collectif ou territorial », soit une « décision unilatérale de l’employeur » qui fixe les contreparties.

Contrairement aux dispositions de l’actuel article L.3132-25-3, en cas de décision unilatérale de l’employeur, le salaire ne sera pas doublé automatiquement pour les entreprises de moins de 20 salariés dans les « zones touristiques » (« Dans les établissements de moins de vingt salariés situés dans les zones définies à l’article L. 3132-25, la décision unilatérale de l’employeur peut fixer des contreparties différentes de celles mentionnées au III. »). Et même si elles franchissent le seuil des 20 salariés (tiens, là ils veulent bien des seuils), elles auront droit au minimum à trois ans de délai… (application « à compter de la troisième année consécutive au cours de laquelle l’effectif de l’entreprise employé dans la zone atteint ce seuil »).

Art. 83 : Avec la modification de l’article L.3132-25-6, le nouvel article ajoute encore une catégorie d’établissements qui pourront ouvrir le dimanche avec accord collectif ou décision unilatérale de l’employeur : les « établissements situés dans les emprises des gares ». »Soit parce qu’ils sont dans une zone touristique internationale ou une zone touristique à potentiel, soit une zone commerciale. Soit par « arrêté conjoint des ministres chargés des Transports, du Travail et du Commerce ».

Art. 84 : Le nombre de dimanches pouvant être supprimés par le maire passe de 5 à 12 ! (modification de l’article L.3132-26) Mais l’article ajoute : « Cette suppression, est de droit pour cinq de ces dimanches. ». Cela veut-il dire que pour 5 dimanches, les établissements n’auront pas à demander la suppression ? Sans doute si on se réfère aux dispositions transitoires pour 2015 (Art. 86), où il est prévu que sur les 8 dimanches pouvant être supprimés par le maire, 3 devront être fixés par arrêté du maire « dans un délai maximum de deux mois après la promulgation » de la loi. Il est sans doute utile de rappeler que pour ces dimanches, le volontariat des salariés n’est pas de droit.

Art. 86 : Rien ne se perd. Les anciennes zones créées par la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 ne sont pas oubliées : les « communes d’intérêt touristique ou thermales et les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente » deviennent « de plein droit » des « zones touristiques à potentiel » ; les « périmètres d’usage de consommation exceptionnelle » deviennent « de plein droit » des « zones commerciales ».

Art. 85 : Le travail de nuit devient « travail de soirée ». Plus belle la vie ! L’article L.3122-29-1 permettra aux établissements de vente au détail dans les « zones touristiques internationales » de faire travailler de nuit (de 21 heures à 24 heures) des salariés « volontaires » dès que l’employeur a obtenu un « accord collectif ».

N’y a-t-il pas désordre dans les lois actuelles sur le repos dominical ?

Les décisions de justice sur le travail du dimanche, c’est vrai, sont contradictoires. Les juges ont des opinions personnelles différentes sur l’ouverture du dimanche et le laissent transparaître dans leurs décisions. Cela est rendu possible parce que le principe du repos dominical existe toujours, mais il y a trop de dérogations disparates et injustifiées depuis la loi Maillé-Sarkozy. On en arrive à ce que des juges condamnent les infractions à l’ouverture du dimanche, mais avec des astreintes insuffisamment dissuasives. D’autres donnent raison à un patron qui porte plainte contre les autres, et d’autres annulent ce jugement… Avant la loi quinquennale de décembre 1993-janvier 1994 il n’y avait que 3 dimanches d’ouverture autorisés. La loi Giraud avait envisagé 12 puis 8 puis 7 puis 5 au lieu de 3. C’est donc un débat hasardeux et artificiel. Avec la loi Maillé, en 2008, il s’agissait de déréguler afin de plaire au Medef, qui vise à casser « la semaine de 35 heures » et de façon plus générale le « temps légal de travail ». Il en est de même pour le travail de nuit dans le commerce, qui vise à « casser » les références journalières de limitation du temps de travail. Pour « simplifier », il faut rétablir le principe : « interdiction du travail dominical », sauf dérogations nécessaires, motivées et contrôlées.

Quelle est actuellement la réalité du travail le dimanche ?

Sur 700 000 commerces, 22 000 sont ouverts légalement avec des dérogations préfectorales et municipales (zones touristiques, périmètres d’usage commercial exceptionnel…). Après ça, il y en a quelques milliers ouverts illégalement. L’enjeu du « oui » ou « non » au travail du dimanche dans tout le secteur du commerce concerne 4 millions de salariés concernés avec emplois induits.
 5 % des salariés travaillent le dimanche de façon régulière (hôpitaux, feux continus, transports, loisirs, là où c’est indispensable…) et 25 % travaillent occasionnellement. On dit que plus de 75 % des « sondés » seraient favorables à l’ouverture le dimanche, mais 85 % des « sondés » disent aussi qu’eux-mêmes ne veulent pas travailler ce jour-là… Les salariés de Leroy Merlin et Castorama ont été totalement organisés par leurs patrons : séances de formation avec des communicants sur leur temps de travail, déplacements, transports, jours et repas payés, T-shirts, banderoles, tracts payés. Ils habillent cela du mot « volontariat », mais le volontariat n’existe pas en droit du travail. Ce qui caractérise un contrat de travail est un « lien de subordination juridique permanent ». Aucun salarié de ce pays ne travaille le dimanche par « volontariat », mais parce que le patron le veut. En fait, mettre en avant des salariés qui « veulent » travailler le dimanche, c’est une manipulation complète.

Patrons et ministres invoquent la relance de la consommation. Alibi ou réalité ?

C’est hors sujet. Ce qui sera acheté le dimanche ne le sera pas le samedi ou le lundi. Les portes monnaies ne sont pas extensibles en ces temps d’austérité. Les magasins ouverts en fraude claironnent des chiffres d’affaires mirobolants majorés de 20 %… mais justement c’est parce qu’ils fraudent, violent la « concurrence » et se font de la « pub » en plus. Banalisé, le travail du dimanche sera vite démonétisé, avec des magasins vides, ça coûtera plus cher et n’aura plus qu’un effet négatif pour les salariés, sans même une réelle contrepartie financière.

Et la sauvegarde des emplois ?

L’ouverture généralisée profiterait aux grandes chaînes contre les petits commerces qui en subiraient le contre-coup  : il a été calculé (DARES) que ce serait un solde négatif de 30 000 emplois perdus.

Un emploi du dimanche sera un emploi de moins le lundi.

Les grandes chaînes s’en tireront en embauchant des femmes pauvres et précaires ou des étudiants désargentés en turn-over permanent façon Mc Donald’s.
 Ils « tenaient » les salariés pauvres en leur donnant des primes de 25 %, 30 %, 50 % parfois mais très rarement 100 % : ces primes n’étaient pas inscrites dans la loi. Il était question pour appâter les salariés de légiférer en leur faveur… Vu que les salaires sont trop bas, les pauvres n’ont pas le choix, ils courent après 30 euros et ça se comprend.

Mais c’est fini. L’ordonnance Macron prévoit qu’elles ne seront pas majorées légalement dans les entreprises de moins de 20 salariés, les plus nombreuses (97 % des salariés à Paris…). Et au-delà de 20 salariés, une éventuelle majoration de salaire le dimanche ou en soirée, ce sera du domaine de la négociation, de l’accord, donc aléatoire puis instable puis supprimable. Quand il sera certain que le dimanche le chiffre d’affaires est le plus bas de la semaine, quand les chalands ne viendront plus, les patrons diront que ça coûte cher d’ouvrir le dimanche et refuseront toute prime.

Une nécessité économique dans les secteurs concernés ?  Le patronat veut surtout déréguler la semaine et les durées du travail hebdomadaires.

C’est pareil pour les ouvertures de nuit genre Sephora. Les touristes chinois qui restent six jours et demi à Paris en moyenne ont tout le temps d’acheter dans la journée… ou en duty free à l’aéroport… Ça ne fera pas un centime de chiffre d’affaire supplémentaire ! Ce qui sera acheté le dimanche ne le sera pas le lundi.

Le but réel du travail le dimanche est de remplacer la semaine de 35 heures par des horaires « à la carte » comme l’exige le Medef. Toutes les activités commerciales et annexes peuvent être concernées par la déréglementation voulue par le Medef : vendre du parfum et de la fringue le dimanche, quel sens cela a-t-il ?

Une question de société, de civilisation

Le dimanche, c’est un jour de repos collectif, socialisé, facilitant les rapports humains pour toutes les activités de loisirs, culturelles, associatives, citoyennes, familiales et même sportives ou religieuses. Il arrive qu’un étudiant veuille travailler le dimanche, mais cela ne durera pas car plus tard, qui gardera les enfants, qui fêtera leur anniversaire si les parents travaillent le dimanche ? C’est un vandalisme anti-social que de supprimer un jour de repos commun, collectif, point de rencontre POUR TOUTES ET TOUS dans la société. Remplacer la civilisation du loisir par celle du caddie : le caddie Auchan du 7e jour pour les salariés et le caddie de golf pour le patron ce jour-là.

Qui sont « les bricoleurs du dimanche » ?

Des braves gens qui pourraient faire leurs courses le vendredi après-midi s’ils bénéficiaient vraiment des 35 heures ou de la semaine de quatre jours.

Que défendent les syndicats hostiles au travail du dimanche ?

Le respect du principe du repos dominical voté en 1906 à l’unanimité par l’Assemblée nationale, et des dérogations limitées strictement aux nécessités.

En vérité, on devrait réclamer le retour aux deux jours de repos consécutifs, dont le dimanche. La semaine de 5 jours (vers quatre jours de 8 heures) serait un minimum et seule la réduction du temps de travail peut faire reculer le chômage de masse. Quant au salaire du dimanche dans les secteurs ou il est contraint et nécessaire (santé, transports, loisir, restauration, alimentation, feux continus, etc…), il devrait être doublé par la loi avec repos compensatoire. Bien sûr, il y a des travaux indispensables le dimanche, mais comme ceux de nuit, donc des « dérogations » précises et motivées doivent être accordées, à condition qu’elles soient bien encadrées.

Vivent les prud’hommes

Les prud’hommes, c’est une belle justice spécifique du travail, paritaire, de proximité, en principe orale. Bêtes noires du Medef, L. Parisot aimait les qualifier de « tribunaux qui insécurisent les employeurs », ces Cours de justice (élues par tous les salariés, y compris les immigrés) ont fait l’objet d’attaques acharnées par Sarkozy, Fillon, Dati, Larcher, puis Sapin et Rebsamen. Leur audience a été limitée, les délais de saisine raccourcis, les temps et moyens des juges réduits, les réparations de dols plafonnés, et les élections des conseillers syndicaux supprimées.

Pourtant, chaque année, près de 200 000 apprentis, salariés, en CDI, en CDD, intérimaires, ou licenciés, saisissent les 210 conseils de prud’hommes répartis sur le territoire français et leurs 14 512 conseillers. La justice du travail ne connaît pas de répit, mais elle rame, faute de moyens, de reconnaissance. On y réclame des gros ou des petits dommages et intérêts, des jours de congés ou des heures supplémentaires impayées, parfois le simple paiement d’une carte Navigo.

Macron contre les Conseils de prud’hommes

On pensait avoir tout vu ou presque dans la volonté patronale d’étouffer la juridiction prud’homale, c’était sans compter le projet Macron et son nouvel arsenal anti-prud’hommes. Les conseillers prud’homaux y sont soumis à un contrôle plus fort, une vraie tutelle. Leurs conditions de travail ainsi que le rapport de force pour les conseillers salariés sont dégradés. Se met en place une justice expéditive et forfaitaire répondant ainsi aux demandes constantes du Medef déjà avancées dans l’ANI du 11 janvier 2013 et la loi qui les ont consacrés :

  1. Extension du pouvoir des juges départiteurs

« À sa demande, le juge départiteur assiste au moins une fois par an à l’assemblée générale du conseil de prud’hommes. Par ailleurs, il peut réunir le président et le vice-président du conseil de prud’hommes ainsi que, le cas échéant, les présidents et vice-présidents de section » (nouvel article L.1423-3). Et « en cas d’interruption durable de son fonctionnement ou de difficultés graves rendant ce fonctionnement impossible dans des conditions normales et lorsqu’il n’a pas été fait application de l’article L. 1423-11, le premier président de la cour d’appel désigne le juge départiteur pour connaître des affaires inscrites au rôle du conseil de prud’hommes » (nouvel article L.1423-11-1). En bref, la mise en extinction des prud’hommes est désormais prévue par le Code du travail.

  1. Extension de la formation restreinte (2 conseillers au lieu de 4), sur demande du bureau de conciliation, rebaptisé « bureau de conciliation et d’orientation » (nouveaux articles L.1235-1, L.1454-2, L.1454-4).

Cette formation restreinte sur demande du bureau de conciliation et d’orientation (nouvel article L.1454-1-2) nécessite certes « l’accord des deux parties », mais sachant que cette éventualité est réservée aux cas où « le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire », soit 92 % des cas de saisie des prud’hommes, et que le projet a prévu comme carotte l’espoir (illusoire) de réduction des délais (« Le bureau de jugement statue dans un délai de trois mois. »), il est vraisemblable que cette nouvelle procédure sera largement utilisée. Conséquence inéluctable : un engorgement supplémentaire et des jugements expéditifs encore plus défavorables aux salariés faute de temps.

  1. Suppression possible de la case « bureau de jugement » au complet
  2. Si le bureau de jugement estime que la formation restreinte ne s’imposait pas, le salarié n’aura pas droit à un bureau de jugement au complet ! L’affaire sera renvoyée directement en formation de départage (« En cas de partage ou lorsque le bureau de jugement estime que le dossier ne relève pas de la formation restreinte, l’affaire est renvoyée devant la formation de départage » nouvel article L.1454-1-2).
  3. Si le bureau de conciliation et d’orientation le décide, le renvoi directement en formation de départage est de droit si « toutes les parties le demandent » ou bien en cas de partage du bureau de conciliation ! (« En cas d’échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d’orientation peut, même d’office, en raison de la nature du litige, renvoyer l’affaire devant la formation de jugement présidée par le juge désigné en application de l’article L. 1454-2. Ce renvoi est de droit si toutes les parties le demandent. Lorsque la demande de renvoi formée en application de l’alinéa précédent n’émane pas de toutes les parties, l’affaire est de plein droit renvoyée devant la formation de jugement visée à l’alinéa précédent en cas de partage du bureau de conciliation et d’orientation sur cette demande » nouvel article L.1454-1-3.

Et, dans tous les cas, cette décision du bureau de conciliation et d’orientation se fera « par simple mesure d’administration judiciaire » en clair par oral, sans motivation obligatoire, sans jugement et sans recours possible ! (« Dans tous les cas, le bureau de conciliation et d’orientation se prononce par simple mesure d’administration judiciaire » nouvel article L.1454-1-3).

On peut aussi se demander quelle sera la composition de la formation de départage en cas d’absence d’un conseiller prud’homal car les dispositions actuellement prévues par décret sont supprimées par le nouvel article L.1454-1-3 (« L’article L. 1454-4 n’est pas applicable lorsque l’affaire est renvoyée devant la formation composée comme il est indiqué au premier alinéa »).

  1. Contrôle et organisation de la « démission » des conseillers prud’homaux

Par la modification de l’article L.1442-1, la loi Macron organise un nouveau contrôle des conseillers prud’homaux : désormais, à l’agrément déjà prévu des organismes de formation des organisations syndicales (article R.1442-2) s’ajoute un contrôle des conseillers prud’homaux eux-mêmes sur leur formation initiale et même continue (« Les conseillers prud’hommes sont soumis à une obligation de formation initiale et continue. »). La sanction est même prévue : en violation des principes fondamentaux du droit du travail, le conseiller prud’homal dont il sera estimé qu’il n’a pas rempli ses nouvelles obligations de formation sera considéré comme « démissionnaire » ! (« Tout conseiller prud’homme qui n’a pas satisfait à l’obligation de formation initiale dans un délai fixé par décret est réputé démissionnaire ».)

L’ANI du 11 janvier 2013 avait déjà inauguré cette innovation juridique (pour la mobilité externe) qui décrète une démission en dehors de la volonté du salarié et sans passer par la case justice pour l’appréciation de cette « démission ». Chaque recul porte en germe le suivant.

  1. Une suspicion et un contrôle institutionnalisés (nouvel article L.1442-11).

Aux exigences d’indépendance et d’impartialité requises pour tout juge, la loi Macron ajoute pour les conseillers prud’homaux la « dignité » ( ?), la « probité » ( ?) et l’obligation de soumettre leur « comportement » à des exigences dont on appréciera la saveur : les conseillers prud’homaux devront agir de sorte qu’on (qui on ?) ne puisse nourrir le moindre doute « légitime » (c’est quoi le légitime ici ?) (« Les conseillers prud’hommes exercent leurs fonctions en toute indépendance, impartialité, dignité et probité, et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard »). Et de sorte qu’aucun « acte ou comportement à caractère public » ne vienne mettre à mal un devoir de « réserve » qui, jusqu’ici, n’était prévu par aucun texte. (« Ils s’abstiennent de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. »)

Et pour le cas où les conseillers prud’hommes voudraient exprimer leur mécontentement, la loi Macron prévoit d’appliquer l’ordonnance du 22 décembre 1958 qui limite le droit de grève des juges professionnels (hormis les juges administratifs) d’une formule qui permet de sanctionner toute action : « Leur est interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions. » Et pour corseter le tout, la loi Macron prévoit tout simplement l’écriture, encadrée par un décret, d’un « recueil des obligations déontologiques des conseillers prud’hommes ».

  1. Des sanctions renforcées (nouveaux articles L.1442-13-1, L.1442-13-2, L.1442-13-3, L.1442-14, L.1442-16, L.1442-16-1, L.1442-16-2).

Le terme de « faute disciplinaire » est employé pour qualifier tout manquement grave. Une sanction nouvelle est créée, l’« avertissement » du premier président de la cour d’appel (nouvel article L.1442-13-1) sans recours possible, elle est censée ne pas être une sanction. Une procédure disciplinaire pour les actuelles « peines » (censure, suspension, déchéance), transformées en « sanctions disciplinaires », est organisée avec la création d’une « commission nationale de discipline » qui pourra utiliser une nouvelle sanction : le « blâme ».

La « déchéance » est également durcie. Un conseiller prud’homme peut actuellement demander à en être relevé au bout de 5 ans (actuel article. L1442-18). Les nouvelles dispositions prévoient à la fois une déchéance définitive et une déchéance provisoire pouvant aller jusqu’à 10 ans.

Et le projet de loi Macron introduit en outre l’équivalent de la mise à pied à titre conservatoire pour les conseillers prud’hommes. Le président de la commission nationale de discipline peut suspendre un conseiller pendant 6 mois s’il est soupçonné d’être passible de sanctions disciplinaires (dont une suspension de 6 mois…).

En bref, les conseillers prud’hommes sont considérés par la loi Macron comme des salariés soumis au pouvoir disciplinaire d’un employeur.

  1. La représentation deviendrait obligatoire en appel ! (nouvel article L.1461-1) et les défenseurs syndicaux, déjà très peu nombreux, pourraient avec un nouveau statut être introuvables aussi bien aux prud’hommes qu’en appel (nouveaux articles L.1453-4 à L.1453-4-5).

Un des prétextes pour cette nième attaque contre la juridiction prud’homale est qu’il y aurait trop d’appel des procédures engagées. Avec la représentation désormais obligatoire, on peut penser que le but recherché sera atteint. Désormais, les salariés devront soit prendre un avocat, soit trouver un défenseur syndical correspondant à la nouvelle mouture prévu par la loi Macron.

Dans des conditions fixées par décret, les défenseurs syndicaux devraient désormais être présentés sur une liste par les organisations syndicales et acceptés par « l’autorité administrative » (la DIRECCTE ?) (2). Et, pour les défenseurs syndicaux qui sont salariés dans une entreprise, alors même qu’ils n’ont pas de protection à ce titre contre leur licenciement, la loi Macron prévoit qu’ils soient tenus au « secret professionnel pour toutes les questions relatives au procédé de fabrication » et à une « obligation de discrétion à l’égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par l’employeur. » La loi Macron donne à l’employeur la possibilité de faire radier de la liste par l’autorité administrative le défenseur syndical qui ne respecterait pas ces obligations…

  1. Moins de juges pour juger et des juges « mieux » choisis (nouveaux articles L.1458-1 – étonnant car l’article L.1458 n’existe pas- et L.1454-2).

Outre les formations restreintes, la loi Macron innove en créant la notion de « litiges sériels ».

à discrétion du premier président de la cour d’appel ou du président de la chambre sociale de la cour de cassation (« simple mesure d’administration judiciaire »), sans possibilité de recours, il pourra ainsi être décidé de faire juger plusieurs affaires par un seul conseil de prud’hommes. Pour ce faire, il suffira d’invoquer « l’intérêt d’une bonne justice ».

à discrétion des mêmes, la désignation de ce superconseil de prud’hommes.

Et, pour faire bonne justice sans doute, ce superconseil pourra de lui-même renvoyer devant la formation de départage, renvoi qui sera « de droit si toutes les parties le demandent ». Dans ce départage, les juges départiteurs qui relèveraient du TGI et non plus du tribunal d’instance seraient choisis sur critères par le président du tribunal de grande instance, critères dont on appréciera le souci d’une « bonne justice » : « prioritairement en fonction de leurs aptitudes et connaissances particulières ». Le Medef peut être satisfait.

Inspection du travail

L’inspection du travail a déjà vu son indépendance foulée au pied par le décret Sapin de mars 2014. Le projet d’ordonnance Macron est la suite du décret Sapin. Aussi peut-on discerner les intentions affichées par l’ordonnance à venir : « 1. Renforcer le rôle de surveillance du système d’inspection du travail et réviser les modes de sanction en matière de droit du travail ; 2.  réviser la nature et le montant des peines applicables en cas d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel de façon à créer un nouveau régime de sanctions dont l’application sera plus effective ; 3. Abroger les dispositions devenues sans objet et assurer la cohérence rédactionnelle des renvois au sein des codes. »

Le changement pour les sanctions consiste, sous prétexte d’une meilleure efficacité, à passer des amendes pénales aux amendes administratives et à transférer le pouvoir de sanction des mains de l’inspecteur du travail à celles de la DIRECCTE, dont il est nécessaire de cerner nomination, fonctions, et profil qui en découle pour voir le sourire du Medef derrière cette prétendue avancée. La DIRECCTE, créée en 2009, est la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, un titre qui résume la place que l’inspection du travail occupe désormais (les agents de contrôle ne représentent qu’un quart des effectifs) et sa subordination aux intérêts des employeurs. Les directeurs régionaux de ce regroupement interministériel sont choisis pour leur aptitude à servir les entreprises et à accompagner leurs objectifs.

Pour les peines applicables pour entrave aux fonctions des délégués du personnel, des membres du comité d’entreprise, du CHSCT et des délégués syndicaux, changer la « nature » des peines fait craindre le pire quand on le rapproche de « l’application sera plus effective ». Plaider coupable, amende administrative ? Dans les deux cas, le patronat échappe au procès-pénal et accède à tous les « petits arrangements entre amis ».

Enfin, l’expérience de la recodification en 2008 permet de prévoir que l’abrogation des dispositions « devenues sans objet » vaut qu’on y regarde de plus près. De même, pour les « renvois au sein des codes », la recodification de 2008 ayant éclaté le Code du travail en de multiples codes, permettant ainsi de ne plus assurer le même droit pour tous les salariés.

La loi Macron n’oublie pas de supprimer d’ores et déjà quelques attributions des inspecteurs du travail. Ce qu’elle ne donne pas encore aux DIRECCTE, elle l’octroie aux juges qui vont remplacer « l’autorité administrative » (nouveaux articles L.2312-5, L.2314-11, L.2314-31, L.2322-5, L.2324-13, L.2327-7) ou même directement « l’inspecteur du travail » (nouveaux articles L.2314-20 et L.2324-18).

Ces transferts de décision ne sont pas anodins. L’actuel article L.2312-5 permet à « l’autorité administrative » de décider de la mise en place de délégués du personnel dans les établissements de moins de 11 salariés, mais sur un site où sont employés plus de 50 salariés (centres commerciaux par exemple). Jusqu’à la recodification de 2008, l’autorité était le directeur départemental du travail. Depuis, ce pouvoir a été transféré à l’indispensable DIRECCTE. À défaut d’accord électoral avec les organisations syndicales, la DIRECCTE décide du nombre et de la composition de collèges électoraux ainsi que du nombre de sièges et de leur répartition entre les collèges. Des questions souvent très importantes qui font souvent la différence entre avoir un délégué qui soit vraiment un délégué du personnel ou bien un délégué du patron. Transférer ces décisions relatives aux élections à un juge n’est sans doute pas de bon augure : outre l’asphyxie judiciaire, les décisions de la hiérarchie de l’inspection du travail étaient au moins préparées par les agents de contrôle compétents.

Le même transfert (nouveaux articles L.2314-11, L.2324-13) est prévu pour toutes les élections de délégués du personnel dans les établissements de plus de 11 salariés et pour les élections au comité d’entreprise dans les entreprises de plus de 50 salariés.

Passerait également à l’autorité judiciaire (nouveaux articles L.2314-31, L.2322-5, L.2327-7) la reconnaissance d’un « établissement distinct » qui permet d’organiser dans une entreprise autant d’élections de délégués du personnel ou de membres de comité d’établissement qu’il y a d’établissements considérés comme distincts du point de vue de la gestion du personnel. Un enjeu parfois important dans de grandes ou moyennes entreprises, pouvant permettre à l’employeur de peser sur le choix des délégués.

Enfin, l’inspecteur du travail perd au profit du « juge judiciaire » (une formule nouvelle introduite dans la recodification de 2008 qui, déjà, prévoyait derrière ce terme générique la disparition à terme des juges prud’homaux, car dans la plupart des articles du Code, juge judiciaire voulait évidemment dire juge des tribunaux d’instance ou de grande instance) les décisions de dérogation aux conditions d’ancienneté pour les électeurs et les éligibles aux élections de délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise. Au passage, le juge ne sera apparemment plus obligé pour cette décision de consulter les organisations syndicales pour les élections de délégués du personnel et seulement pour les éligibles pour les élections aux comités d’entreprise.

Médecine du travail

Macron a prévu de supprimer la médecine du travail. Mais cela est renvoyé à une loi parallèle de Thierry Mandon dite « de simplification » du Code du travail et qui supprime celle-ci en douce.

La médecine du travail a été progressivement déconsidérée, et le Medef veut l’abattre.

Tous les arguments sont utilisés : la médecine du travail serait déjà inutile ou asphyxiée, ses médecins en voie de disparition ou bien déjà vendus au patronat, la santé au travail serait déjà tellement mise à mal que ce serait un combat d’arrière-garde, il faudrait tellement la « moderniser » que, finalement, elle serait à ranger au rayon des vieilleries !

Au contraire, il faut une médecine de prévention, une spécialité médicale, ancrée sur l’étude, le suivi des conditions de travail au sein même des entreprises. La médecine du travail n’est pas « généraliste », c’est une spécialité concentrée sur la connaissance pratique des postes, des atmosphères, des cadences, des risques psychosociaux au travail. Oui, la médecine du travail est déjà mal en point, il manque déjà 600 médecins et 1 700 d’entre eux partent en retraite de façon imminente. Oui, certains centres font des visites de routine ou bien « ratent » des gros problèmes de santé, faute de moyens et de suivi… Mais cela provient d’une mauvaise gestion délibérée, du numerus clausus, de la démobilisation idéologique et pratique orchestrée par le patronat autour de la santé au travail. D’ailleurs, Gattaz ne veut-il pas aussi supprimer les CHSCT ?

Pourquoi ? Parce que depuis 1998, c’est aux patrons de payer les conséquences des risques qu’ils font courir à leurs salariés.

Il faudrait davantage de médecins, davantage de visites, davantage de moyens, d’examens, au plus près de chaque entreprise, de chaque branche, de chaque métier, il faut dépister les maladies professionnelles et chaque accident sur le terrain, et tout cela doit échapper totalement au contrôle des patrons ! Ce n’est pas aux profiteurs de diriger les services de santé au travail, c’est aux exploités et à leurs syndicats, leurs institutions représentatives de les gérer. Les médecins doivent être totalement libres et indépendants dans l’exercice déontologique de leurs fonctions. La mobilisation doit s’amplifier pour défendre la médecine du travail !

Des considérations générales du projet de loi Macron (« mesures relevant du domaine de la loi relatives à la constatation de l’inaptitude médicale et à ses conséquences au regard du salarié et de l’employeur, ainsi qu’au regard de l’organisation des services de santé au travail et des missions des personnels concourant à ces services, notamment celles des médecins du travail en vue de déterminer des priorités d’intervention au bénéfice d’une application plus effective du droit du travail dans les entreprises. ») ainsi que de l’« étude d’impact » de la loi Macron, on peut déduire le sort réservé à la médecine du travail. L’étude d’impact a l’avantage de donner à voir les soubassements des changements législatifs. Il y est expliqué que :

– l’obligation légale de la visite d’embauche ne peut être effectuée car il manque des+ médecins du travail et que « les employeurs sont donc dans une situation d’insécurité juridique » car la Cour de cassation sanctionnerait « lourdement » le non-respect de l’obligation de sécurité.

– que les médecins du travail rédigent beaucoup trop d’avis d’aptitude comportant des restrictions d’aptitude ou des aménagements de poste (plus d’un million par an), pas toujours clairement (« difficultés d’interprétation »), et surtout empêcheraient par ce biais tout licenciement ! (« Tant que l’avis mentionne l’“aptitude”, aucun licenciement ne peut être envisagé même si l’employeur est dans l’incapacité de suivre les recommandations et propositions du médecin du travail. »)

Dès lors, selon l’étude d’impact, pour « Sécuriser les employeurs », il convient de réduire les visites, de les assurer par d’autres professionnels que les médecins, de faciliter les avis d’aptitude faits par des « collaborateurs médecins » et d’encadrer, voire de supprimer les « réserves ». Au total, licencier plus et plus vite pour inaptitude, tel est la sécurisation recherchée par le projet de loi.

Mandon propose même pour « simplifier »… des visites tous les quatre ans, et qu’elles puissent être faites par les médecins généralistes…

Flexibilisation à outrance du droit de licencier pour l’employeur

Voilà ce qui se cache derrière l’« Amélioration » du dispositif de « sécurisation de l’emploi ».

L’ANI du 11 janvier puis la loi du 14 juin 2013 facilitaient déjà les licenciements. Le 5 juillet 2013, les personnels des DIRECCTE ont été formés sur les nouvelles règles d’encadrement des PSE découlant de la loi du 14 juin de « sécurisation de l’emploi » issue de l’ANI.

Avec l’article 18 de la loi relative à la refonte du licenciement économique collectif, les DIRECCTE ont reçu pour consigne de se tenir à la disposition des entreprises pour qu’un accord puisse exister face à chaque PSE (plan de licenciements). L’objectif a été fixé : « zéro refus d’homologation ou de validation des PSE ».

C’est là que s’est mise en place une complicité assez inouïe et scandaleuse du ministère du Travail avec les licenciements et l’extension du chômage. A contrario de leurs discours officiels qui prétendaient « inverser » la courbe du chômage, Michel Sapin et François Rebsamen ont en fait opté pour donner des « preuves d’amour » aux patrons en acceptant tous leurs plans de licenciements. C’est un zéro refus !

Pour la loi Macron, il s’agit en effet d’« améliorer » la loi du 14 juin 2013, copié-collé de l’ANI du 11 janvier 2013, qui avait déjà beaucoup sécurisé… les licenciements.

En effet, après avoir dessaisi la justice civile et transféré à l’administration (la DIRECCTE) le soin de mettre dans un délai expéditif un coup de tampon (validation si accord collectif ou sinon « homologation » du plan unilatéral de l’employeur), le but du Medef semblait atteint. Mais quelques tribunaux administratifs, saisis par des recours, ont cependant osé critiquer ces coups de tampon trop expéditifs. Qu’à cela ne tienne, si des tribunaux appliquent la loi d’une façon qui leur déplaît, on change la loi.

  1. Grâce à la loi du 14 juin 2013, l’employeur pouvait déjà, sur les quatre critères de choix des licencié(e)s, retenir prioritairement le critère qu’il voulait, par exemple le critère arbitraire de la « qualité professionnelle » au détriment des critères sociaux (charges de famille, âge, handicap, ancienneté). Le projet Macron permet à l’employeur, en modifiant l’article L.1233-5 du Code du travail, de moduler même les critères choisis en les fixant « à un niveau inférieur à celui de l’entreprise ». En clair, le choix de licencier qui on veut, où on veut.
  2. Le projet Macron simplifie les « petits licenciements » (de 2 à 9 salariés) dans les entreprises de plus de 50 salariés. Plus besoin pour la DIRECCTE de vérifier si les représentants du personnel ont été « réunis, informés et consultés » selon les dispositions légales et conventionnelles, si les obligations relatives aux mesures sociales ont été respectées, et si les mesures pour éviter les licenciements et pour faciliter le reclassement « seront effectivement mises en œuvre » (nouvel article L.1233-53).
  3. Le projet Macron simplifie les efforts de reclassement pour les grandes entreprises implantées sur plusieurs pays. Elles n’auront plus l’obligation de chercher un reclassement en dehors du « territoire national » (nouvel article L.1233-4).

Le lien avec la disposition suivante qui est modifiée est peut-être subtil : en effet, le projet Macron n’impose plus à ces grandes entreprises de demander au salarié dont le licenciement est envisagé s’il accepte de recevoir des « offres de reclassement » à l’étranger il impose une humiliation supplémentaire au salarié à qui il revient désormais de « demander à l’employeur » de recevoir des « offres d’emplois situés hors du territoire national disponibles dans l’entreprise ou dans le groupe auquel elle appartient. »

Outre l’humiliation, un décret doit préciser les modalités d’application de ce nouvel article L.1233-4-1 du Code du travail : recevoir une offre de reclassement est-elle la même chose que recevoir une offre d’emploi disponible ?

  1. Le projet Macron « simplifie » beaucoup les licenciements dans les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire en modifiant l’article L.1233-58.

En effet, « au regard des moyens dont dispose l’entreprise », en clair au regard de son expertise en trémolos, elle pourra désormais s’exonérer de ses obligations prévues par les pourtant tout récents articles L.1233-61 à L.1233-63 : faciliter le reclassement des salariés, notamment des âgés et des fragiles.

En outre, pour les entreprises qui font partie d’un groupe, il n’y aura plus d’obligation de formation, d’adaptation et de reclassement au niveau du groupe, mais seulement « dans l’entreprise ». L’employeur, l’administrateur ou le liquidateur est simplement invité à « solliciter » les entreprises du groupe pour avoir une liste de postes disponibles.

  1. Le projet Macron simplifie beaucoup le licenciement sans retour et sans indemnités des salariés pour lesquels le tribunal administratif aurait annulé la décision de validation ou d’homologation du plan de licenciement.

L’actuel article L.1235-16 prévoit qu’en dehors du cas où le tribunal administratif annule la décision de la DIRECCTE pour « absence ou insuffisance » du plan de sauvegarde de l’emploi (ce qui entraîne la nullité de la procédure de licenciement), l’annulation pour un autre motif entraîne soit la réintégration du salarié, soit, en cas de refus de l’employeur, le versement d’une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Désormais, par la modification de ce tout récent article L.1235-16, si la décision de l’administration a été cassée pour « insuffisance de motivation », on est un peu dans Ubu : la loi prévoit benoîtement que l’administration « prend une décision suffisamment motivée »…( !) ; que le jugement du tribunal administratif ne modifie pas la « validité du licenciement »… et donc « ne donne pas lieu au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur ».

Insécurisation des représentants du personnel

Ce qui se cache derrière la volonté, discrètement affichée, de modifier la sanction pénale pour les entraves au droit syndical et aux fonctions de représentant du personnel (DP, CE , CHSCT) : rien de moins que la suppression de la peine d’emprisonnement associée jusqu’ici au délit d’entrave (« susceptible de dissuader les sociétés étrangères d’investir dans les entreprises françaises… »).

Et, peut-être plus encore, suppression de toute peine pénale, la formulation du dossier de presse (« les sanctions pénales associées au délit d’entrave au fonctionnement des instances représentatives du personnel seront remplacées par des sanctions financières. ») pouvant laisser entendre que les sanctions financières pourraient n’être plus qu’administratives…

Le délit d’entrave devient moins sanctionnable

Est-ce si choquant qu’un patron qui fait entrave aux lois d’ordre public social concernant l’instauration et le fonctionnement des institutions représentatives du personnel, (comité d’entreprise, délégués du personnel…) soit punissable de peines de prison ? Cette peine figurait dans le Code du travail. En fait, les juges n’ont jamais prononcé de peine de prison pour délit d’entrave. Mais la menace existait quand même. En mai 2010 deux dirigeants de l’usine Molex, appartenant à un groupe américain, avaient été condamnés à six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Toulouse pour ne pas avoir informé les représentants du personnel avant d’annoncer la fermeture de l’usine.

Certains grands patrons étrangers auraient dit leur inquiétude face à ce risque pénal, exceptionnel et si peu appliqué. Leurs avocats auraient souvent agité ce chiffon rouge, leur conseillant la plus grande prudence et les mettant en garde contre « la tentative de délit d’entrave ». Évidemment on nous raconte, sans preuve, non pas que cela aurait dissuadé certaines entreprises de violer nos droits, mais que cela les aurait empêchées de s’installer en France.

Aussi, le président de la République lui-même a-t-il annoncé lors du deuxième « conseil stratégique de l’attractivité » ouvert aux patrons étrangers qui s’est tenu le dimanche 19 octobre à l’Élysée, que cet article du droit pénal du travail serait annulé : « Les peines pénales associées au délit d’entrave, qui parfois même pouvaient être des peines de prisons qui n’étaient bien sûr jamais prononcées mais qui néanmoins pouvaient inquiéter, seront remplacées par des sanctions financières, et c’est mieux qu’il en soit ainsi. »

Macron exécute cette volonté présidentielle pro-patronale. En contrepartie de la suppression de cette peine, le ministre du Travail avait envisagé que les contraventions aillent au-delà des modestes 3 750 euros actuels. Mais quel niveau d’amende sera assez dissuasif envers des actionnaires milliardaires lointains pour leur faire respecter notre droit du travail ? Poser la question c’est y répondre : si la menace de prison n’était qu’un chiffon rouge, l’amende les fera rire. Une fois de plus, on est loin du François Hollande au Bourget menaçant la délinquance financière : « La République vous rattrapera. »

On peut gagner dans l’unité et battre le projet de loi Macron

Il y a cette fois des centaines de députés qui peuvent voter contre. Plus de 120 députés, dont 10 ministres actuels, se sont opposés au travail du dimanche en décembre 2008. Il s’agit de leur rappeler. Mais il faut argumenter serré sur le fond et en détail. Le rejet du travail du dimanche, ce n’est qu’une accroche, une approche de la loi. Mais c’est aussi une entrée. On peut convaincre aussi contre le « travail en soirée », et pour protéger les prud’hommes et l’inspection… On peut souligner que faciliter les licenciements, c’est faciliter le chômage… Donc il y a possibilité de victoire à l’Assemblée contre la loi Macron. Coup de force rétrograde prolongé par ordonnances, il doit être possible de rassembler assez de députes conscients et courageux pour la rejeter.

Le PS a pris position officiellement contre les ordonnances et sur plusieurs points du texte : le travail du dimanche et en soirée notamment. Et derrière, sur les questions des seuils sociaux, de la déréglementation du droit du travail… Il y a aussi de fortes oppositions et contradictions : la Mairie de Paris par exemple, s’est opposée à l’extension du travail du dimanche. Et la pression syndicale est grande, avec une certaine unité là-dessus. Comme sur le reste de l’ordonnance Macron, il y a place pour une réaction unitaire syndicale. C’est souhaitable, comme en Belgique.

La preuve de la faiblesse du projet Macron c’est qu’il a déjà été épuré lorsqu’il est passé en Conseil des ministres : il a été diminué de 160 articles à 107. Et probablement ça va continuer. Ce qui n’enlève pas les dangers. Des lois ou ordonnances ou décrets ad’hoc sur l’inspection du travail, sur la médecine du travail… compléteront le dispositif. Mais elles seront votées à part, pour masquer les plus méchants des projets.

Et si cette loi Macron est cadeau au Medef, si elle est le complément des 41 milliards de CICE… le Medef n’en est pas du tout reconnaissant au gouvernement ! Il manifeste même contre lui ! Contrairement à ce que prétend M. Valls sur les télévisions (démentant Macron qui, lui, a reconnu, un temps, l’échec du Pacte de responsabilité), il n’y a pas 7 signatures de branches mais une seule (la branche chimie et elle n’apporte aucun emploi).

Enfin, arrivée sur le bureau des Assemblées les 20 ou 22 janvier 2015, la loi sera discutée tout au long de février et mars. Or on est à deux mois des cantonales. Des métiers et branches vont se mobiliser pendant les mois à venir… Une poussée syndicale indispensable peut être entendue. Encore faut-il que toutes les forces de gauche s’associent pour créer un climat d’indignation et de lutte dès janvier.

(1) Extraits d’un texte de Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail, publié dans la revue Démocratie et Socialisme.

(2) DIRECCTE : Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

Imprimer cet article Télécharger cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *